• Précisions sur l'idée d'une société areligieuse

     Cet article est une réponse au commentaire de monsieur François Brunot (voir Un athéisme érudit peut-il totalement remplacer sur Terre les croyances religieuses, surnaturelles ?)

     

     Monsieur Brunot,

     

    Tout d’abord, je tiens à vous remercier d’avoir inauguré l’écriture de commentaires sur ce blog. L’un des buts de celui-ci étant l’échange et la confrontation d’idées, il justifie ainsi l’une de ses raisons d’être.

     

    Vous formulez deux objections. J’essayerai dans la suite de cette réponse d’expliciter au mieux les raisons de mon désaccord avec vous.

     

    Vous mettez en exergue l’idée que la religion peut être source d’apaisement, voire d’évitement de douleurs et de souffrances. Lorsqu’on lit le livre de Pascal Boyer, on apprend que les croyances religieuses n’ont pas un tel but à la base ; à l’encontre, les religions institutionnalisées et en particulier les monothéismes confèrent, entre autres, cette idée. Nous devrions donc relativiser notre propos. Toujours est-il que dans la tête de nombreux occidentaux (voire la plupart), les religions auraient ce noble dessein. Pourquoi pas… Mais dites-moi : quel réconfort peuvent trouver ces croyants ? Parce que dire que les religions apaisent ne suffit pas, il faut préciser. Prenons d’abord la doctrine chrétienne : peut-on affirmer que se savoir pécheur dès la naissance soit réconfortant ? Peut-on affirmer que les limbes, sorties comme un lapin magique du chef de la pensée scolastique au XIIIe siècle, et déclarées erronées en 2007, furent source d’apaisement durant plus de six siècles pour les jeunes parents et, surtout, pour ceux qui perdirent leur enfant avant de l’avoir baptisé ? Sont-ce des cas particuliers ? Sont-ce des cas aujourd’hui écartés grâce à la clairvoyance et la raison des croyants actuels (il est vrai que tout cela appartient au passé, n’est-ce pas, au passé lointain…) ? Dans son Traité d’athéologie, Michel Onfray donne des exemples actuels de ce que les croyances religieuses peuvent avoir d’abject et de néfaste à l’intégrité corporelle et psychique d’une personne.

     Dans la suite, je considèrerai le point suivant comme acquis : les religions institutionnalisées, et principalement les monothéismes, s’avèrent néfastes. Pléthore d’auteurs ont fourni des ouvrages pertinents à ce propos, je ne compte pas en faire ici un résumé (cela prendrait trop de temps). Pour ceux qui seraient intéressés, voir Bertrand Russel, Christopher Hitchens, Michel Onfray, Sigmund Freud (dans une certaine mesure), Richard Dawkins,… Et le dernier en date que j’ai lu : Arthur Schopenhauer (Sur la religion).

     Supposons plutôt une “religion” personnelle, privée qui, comme vous le sous-entendez, peut ne causer aucun impact négatif sur la vie sociale. Et supposons que le but premier de cette religion intime soit d’apaiser le besoin métaphysique de l’individu humain. Qu’est-ce qui peut satisfaire — ou tendre à la satisfaction — ce besoin ? Une oreille compréhensive, compatissante probablement. L’existence d’un individu qui n’abandonne pas, quels que soient les aléas de la vie. Cet être, que d’aucuns nommeront dieu, s’érigera aussi en tant que cause ultime de la réalité qui nous entoure, en tant que raison de l’Univers, en tant que source ultime du Tout. Et chacun assaisonnera cette créature abstraite de ses propres mélanges d’épices. Or, tout cela doit être pris sensu allegorico, selon les termes de Schopenhauer, et non sensu proprio. Le problème est que, trop heureux de tenir entre leurs mains le baume à appliquer sur leurs blessures mentales, les croyants prennent sensu proprio ce qui ne peut l’être, et cela au détriment de ce qui est dans les faits sensu proprio. « […] si l’allégorie pouvait se donner comme telle de façon avouée, voici ce qui se passerait : rien que cela lui enlèverait toute respectabilité, et par là toute efficacité. Elle doit pour cette raison se faire valoir et s’affirmer comme vraie sensu proprio : alors qu’elle est vraie au plus haut degré sensu allegorico. Ici réside le mal incurable, l’inconvénient persistant qui est la raison pour  laquelle la religion est constamment entrée en conflit avec l’impartial et noble effort vers la vérité, et toujours de plus belle. » (Sur la religion p. 69)

     Dans le premier chapitre (intitulé Paragraphe 174) de Sur la religion, Schopenhauer fait discourir deux personnages : Démophèle (dont l’étymologie grecque signifie “le trompeur du peuple”) et Philalèthe, le philosophe. Philalèthe est partisan de la vérité : seule la vérité compte, même si elle peut être inaccessible à l’individu lambda. Il dit : « La vérité, mon ami, la vérité seule tient bon, persiste et demeure fidèle ; seul le réconfort qu’elle apporte est solide : elle est le diamant indestructible. » À quoi Démophèle rétorque : « Ah ! si vous aviez la vérité dans votre poche, afin de nous satisfaire à volonté ! Mais ce que vous avez, ce ne sont que systèmes métaphysiques dans lesquels rien n’est certain, sinon la migraine qui en est le prix. Avant de prendre quelque chose à quelqu’un, on doit avoir à offrir à sa place quelque chose de meilleur. » Et Philalèthe de contredire : « […] Libérer quelqu’un d’une erreur ne signifie pas lui prendre quelque chose, mais le lui donner ; car reconnaître que quelque chose est faux est déjà une vérité. » (Sur la religion, pp. 86-87) D’ailleurs, « [de] quelle aide sont les arguments de réconfort et d’apaisement, alors que sur eux plane perpétuellement l’épée de Damoclès de la désillusion ! » (op. cit. p. 86) Philalète préconise une attitude plus sage : « Dès lors, qu’on ne trompe personne, qu’on avoue de préférence ne pas savoir ce que l’on ignore, et qu’on laisse chacun se fabriquer soi-même ses articles de foi ! Peut-être ne prendront-ils pas aussi mauvaise tournure, pour autant qu’ils se frotteront les uns avec les autres et qu’ils se rectifieront mutuellement : à tout le moins la diversité des perspectives fondera une tolérance. » (p. 87) Sauf que ces articles de foi doivent tenir compte de ce que l’on n’ignore pas, et les analyses faites par Pascal Boyer, bien que sujettes à modification comme toute analyse scientifique, diminue notre ignorance sur certains domaines.

     Une autre objection de Schopenhauer rejoint notre propos, bien qu’elle s’en diffère quelque peu puisque, dans ce cas-ci, il y a instrumentalisation de la croyance. Démophèle : « [La religion] est pour [l’homme commun] une source inépuisable de réconfort et d’apaisement dont il a autant besoin que nous, et même plus face à son dur destin : rien que pour cette raison, la religion devrait être purement et simplement inattaquable. » Philalèthe : « Avec cet argument, on aurait pu mettre Luther en fuite lorsqu’il attaqua le trafic des Indulgences : car, combien nombreux sont-ils, ceux à qui les lettres d’Indulgences ont apporté un irremplaçable réconfort et un apaisement complet, si bien [qu’]ils quittaient ce monde avec une joyeuse assurance. » p. 86 En quelque sorte, la fin justifierait les moyens…

     Je souhaite vous poser une question : vous semblez être une personne curieuse (dans le bon sens du terme), vous cherchez à en savoir plus sur les savoirs que les méthodes scientifiques nous ont apportés, sur les connaissances conjecturales formant un ensemble cohérent pour notre système cognitif (il ne faut jamais oublier qu’il s’agit toujours de modèles). À partir du moment où vous constatez que les croyances religieuses des monothéismes entrent en contradiction avec ces modèles scientifiques, bien plus puissants que toutes ces mythologies, comment pouvez-vous ne pas vous opposer à ces croyances religieuses ? Si on vous laissait la possibilité, opteriez-vous pour une vision de la réalité imaginée, peuplée de surnaturel, ou pour une vision construite par les méthodes scientifiques ? Maintenant que vous avez lu le livre de Pascal Boyer, ou celui de Dennett (De Beaux rêves), préféreriez-vous ne jamais les avoir lus pour continuer à croire en une chose immarcessible que l’on nomme âme, et rejeter l’idée de parasitage des systèmes d’inférences par des idées propagées par la culture, donc par l’éducation ? J’en doute… Mais dites-moi, avec ces savoirs (qui entrent clairement en contradiction avec les croyances religieuses, qu’elles soient institutionnelles ou privées), êtes-vous plus malheureux ? Regrettez-vous de manquer de réconfort mental, manquez-vous d’apaisement ? Si votre maison brûle (ce que je ne vous souhaite pas, évidemment), trouverez-vous plus de réconfort en vous demandant pourquoi dieu a bouté feu à votre demeure (ou tout au moins la raison pour laquelle il n’a pas empêché sa destruction), ou n’aurez-vous tout simplement pas besoin de réconfort puisque vous supputerez “la faute” au hasard, ou en tout cas à l’absence de raison surnaturelle ? Et lorsqu’un proche meure, ne peut-on se satisfaire de la vision scientifique (néant de l’esprit, régénérescence dans les cycles de la biosphère,…) ? Ou faut-il désespérément croire en un au-delà surnaturel ? Et si vous optez pour la vision scientifique, pourquoi ne pas la promouvoir pour les autres que vous ? Je veux dire, si comme moi vous ne ressentez pas le besoin de croire en du surnaturel pour vivre, pour connaître un apaisement, pourquoi ne pas penser que les autres pourraient connaître la même vision de la réalité sans en souffrir ? Parce qu’alors, pourquoi une société areligieuse ne serait-elle plus alors enviable ? Surtout connaissant toutes les dérives qu’une idéologie peut entraîner (ici je déborde du cadre du religieux). Schopenhauer écrit : « […] aucune erreur est inoffensive, et chacune fera tôt ou tard le malheur de celui qui la conserve. » (p. 87)

     Autre citation : « […] foi et savoir se comportent comme les deux plateaux d’une balance : à mesure que l’un monte, l’autre descend. » (p. 93) Avanceriez-vous l’idée que par souci d’égalité, d’équité, de justice (pourquoi léser la foi, tout le monde a le droit de connaître la foi…), il ne faut pas mettre trop de poids dans le plateau du savoir — dans la balance que chacun a dans la tête — sinon ce serait au détriment du plateau de la foi ? Je suppose que non. Mais alors, puisque Dennett, Boyer et j’en passe ont apporté de la matière au savoir, pourquoi ne pas tendre à ajouter cette masse dans le plateau de chaque individu, même si celle-ci concerne les croyances religieuses, l’âme, etc. ? Y aurait-il des savoirs que l’on n’aurait pas droit d’inculquer parce que la laïcité impose le droit de croire ?

     

    Afin de corriger les propos que vous me prêtez à tort, je vais ici préciser ma pensée. Premièrement, jamais je n’ai voulu laisser entendre l’idée qu’il fallait “punir” un croyant parce qu’il croit. Peut-on punir un enfant parce qu’il croit au Père Noël ? Non. Mais s’il frappe son voisin de classe parce que celui-ci lui apprend l’inexistence du bonhomme rouge, alors oui, là, il faut sévir. Deuxièmement, votre comparaison avec le bras meurtrier est malencontreuse parce qu’elle confond, me semble-t-il, action et médiateur. Je ne vais certes pas couper le bras d’autrui sous prétexte qu’il pourrait me poignarder (d’ailleurs, en toute logique, il faudrait qu’il coupe le mien avant, puisqu’il attentera aussi à son intégrité corporelle : autrement dit, c’est une logique qui, appliquée de manière absolue, ferait de l’espèce humaine une espèce de manchots…). Il ne faut pas supprimer le médiateur, mais il faut faire comprendre à mon voisin, dès son plus jeune âge, que l’usage de son bras pour poignarder autrui est condamnable, puisque logiquement celui-ci mène à l’anarchie et au malheur de tous. Derechef, il ne faut pas faire un amalgame entre fin et moyens. C’est cette modification de votre comparaison qui me permet alors d’avancer l’idée que, puisque le cerveau, de par sa structure, est sujet au parasitage, il convient d’enseigner que nous sommes tous susceptibles de posséder des idées erronées et de mal interpréter des sensations éprouvées ; et que ces erreurs, bien que parfois inoffensive, peuvent connaître des dérives haïssables. Donc, on ne coupe pas un bras pour empêcher un meurtre, on fait comprendre que l’usage de ce bras pour un tel acte est néfaste. De même, on ne supprime pas les systèmes d’inférences (cela n’aurait d’ailleurs aucun sens), mais on explique que ces systèmes d’inférences peuvent être parasités. Si un organisme est atteint d’un virus, ne cherche-t-on pas le moyen de l’extirper de cet organisme ? Et ne cherche-t-on pas, au préalable, à élaborer des vaccins ? Le vaccin, dans ce cas-ci, ce pourrait être l’éducation.

     

     Je suis presque d’accord avec l’idée de laïcité telle que vous l’exposez. Mais d’une part, elle ne me suffit pas ; d’autre part, elle ne devrait être qu’une solution transitoire lorsqu’elle s’applique aux religions. Je m’explique. D’abord, l’idée de droit de croire en ce que l’on veut. Si vous souhaitez croire à la théière en orbite autour du Soleil, entre Mercure et Vénus, libre à vous… (voir Bertrand Russell) Jamais je ne pourrais prouver que cette croyance est fausse, bien qu’elle me semble absurde. Si vous êtes un inconditionnel du pastafarisme (voir article Wikipédia), libre à vous. Il pourrait exister un droit de croire, si l’on veut. Mais au lieu de parler de droit, je préfère parler en terme de devoir (voir l’article Les fumeux droits de l’homme). Plutôt que formuler l’idée d’un droit, je dirai que ni le système étatique, ni aucun parent, n’ont le devoir de propager les croyances religieuses. Je dirai même que les systèmes éducatifs ont le devoir de prémunir les enfants et les adolescents contre toute forme de parasitage mental (voir un contre-exemple extrême dans le documentaire Jesus Camp, accessible en anglais sur Youtube). Je vous pose encore une question : imaginez un homme qui a toujours vécu avec l’idée indétrônable que le Père Noël existe, et que cette idée l’apaise, le réconforte et semble non-nuisible dans la société. Diriez-vous alors que les droits prônés dans la laïcité lui autorisent à enseigner et à propager chez son enfant cette croyance, et à l’inculquer sans même lui donner un chouia d’esprit critique ?

     En fait, pour être complète, la laïcité doit premièrement retrancher un droit aux humains (celui de propager des fois, c’est-à-dire des systèmes, des paradigmes non-fondés sur une connaissance objective, et qui ne mettent pas en exergue tout ce qu’ils ne savent pas, ou ne pourront jamais savoir selon l’état actuel des connaissances). Secondement, la laïcité doit comporter un cinquième point : le devoir de favoriser et développer des systèmes éducatifs les plus au fait des connaissances conjecturales les plus récentes. Être éducateur (instituteur, enseignant, professeur,…), ce n’est pas bénéficier de plus de congés qu’un ouvrier ; ce n’est pas non plus se départir de sa mission une fois l’enceinte de l’école quittée. Être propagateur du savoir, c’est une vocation ! Et c’est d’abord être un boulimique d’acquisition de savoirs ! Je pense à ce titre que bon nombre d’entre ceux actuels devraient recevoir une lettre de licenciement… Je voudrais en dire davantage sur l’éducation, mais puisqu’il s’agit du thème de l’article que je suis occupé d’écrire pour le blog, je m’abstiendrai de m’éterniser ici sur ce sujet. Toujours est-il que l’État laïc devrait s’intéresser aux écrits d’Albert Jacquard et d’Edgar Morin afin de réformer de fond en comble les systèmes éducatifs, et même de devenir pionnier dans l’élaboration d’une société moderne modèle, parce qu’une société se bâtit sur son mode de propagation d’une culture et sur la teneur de cette culture.

     En somme, que les gens croient ce qu’ils veulent, mais que la caste des enseignants investis permettent aux futures générations de se débarrasser petit-à-petit de ces agents infectieux qui baignent dans l’océan des cultures. Car même avec un dogme privé, personnel, un dogme qui nous est propre, nous pouvons nuire ; parce que nous réagissons en fonction de nos paradigmes, de l’ensemble le plus cohérent possible de nos idées. Tout comme les évènements spatio-temporels se déroulent dans le cadre que forme le “tissu spatio-temporel”, de même nos actes — me semble-t-il — naissent dans notre paradigme (qui n’est pas figé au cours de notre vie). Prenez le cas connu de nombreux Américains estimant que si Dieu a mis à notre disposition tout ce qui nous entoure, il serait inepte de ne pas nous en servir comme bon nous semble, d’où émergence de négationnismes.

     À propos des dogmes, Schopenhauer écrit : « […] dans la mesure où ce sont des affirmations qui concernent les fondements de tout le reste de nos connaissances, qui fixent par conséquent pour toujours notre point de vue à leur égard et, au cas où elles seraient fausses, pervertissent à jamais ce dernier : comme, ensuite, leurs corollaires sont partout en prise sur la totalité du système de nos connaissances, elles faussent de part en part l’ensemble du savoir humain. » (op. cit. p. 61) D’ailleurs, petite parenthèse : « Mais à quel point les esprits ordinaires sont totalement paralysés par cette préparation métaphysique précoce, on peut le percevoir le plus crûment et en ce cas sous un angle ridicule, lorsqu’un réel esprit entreprend la critique d’une doctrine de la foi étrangère à la sienne. » (op. cit. p. 62)

     La plausibilité d’une société areligieuse passe nécessairement par l’éducation. Mais les connaissances conjecturales ne suffisent pas, elles ne dispensent d’ailleurs pas d’un initial choix éthique. (À ce propos, la quête de savoirs ne peut se faire à n’importe quel prix, et il doit exister une éthique de la quête de connaissances ! Par exemple, une éthique qui, plaçant le respect de la Vie — donc des mécanismes vivants et des relations entre les éléments vivants — comme fondement, ne peut tolérer les manipulations génétiques sur les souris, les vivisections, les tests cosmétiques sur des rats, les opérations sur des singes non-humains, etc. Et l’espèce humaine doit accepter de ne pas pouvoir accéder à certains savoirs tant qu’elle n’a pas découvert une méthode qui lui permette de ne pas enfreindre son choix éthique concernant la quête de connaissances. Pas d’amalgame, à nouveau, entre fin et moyens…) On pourrait remplacer les croyances religieuses par une philosophie areligieuse, en gardant à l’esprit cette définition de Schopenhauer : « La philosophie en tant que science n’a absolument rien à faire avec ce qui doit ou peut être cru ; mais seulement avec ce qu’on peut savoir. » p. 118

     

    Je souhaite maintenant préciser une de vos idées selon laquelle, dans votre raisonnement par l’absurde, on supprimerait les sources de plaisirs et d’apaisement, telles que le chocolat, la télévision, les arts. Je dirais que des sources de plaisirs sont en effet à proscrire. Le plaisir n’est pas l’étalon à partir duquel on peut construire une éthique planétaire qui soit suffisamment pérenne. Mais ici comme ailleurs, il faut se prémunir d’une vision trop manichéenne. Si j’utilise ma télévision pour apprendre, pour regarder des documentaires, pour me divertir d’une manière plus ou moins intelligente, pourquoi pas ; quoique… Par contre, si j’hypothèque l’avenir de la vie en abreuvant mon plaisir avec d’édifiantes et hautement culturelles émissions de télé-réalité, alors quoi ? Dois-je laisser la primauté au plaisir ? Si l’électricité que j’utilise pour savoir qui sortira vainqueur de ce genre d’émission est produite par une centrale nucléaire, n’ai-je pas le devoir de m’abstenir ? Si, pour satisfaire mon plaisir gustatif, il est préférable d’ébouillanter vivant un homard, ou d’arracher in vivo les cuisses de grenouilles, je doute que le plaisir soit un bon étalon. Ceci me fait penser que votre raisonnement par l’absurde n’est pas satisfaisant, car il est trop catégorique. Et oui ! je pense que tout plaisir peut être sujet à caution s’il entraîne des méfaits. Je ne dis pas qu’il est aisé de se priver de plaisirs lorsque l’on en connaît les méfaits, mais je pense que nous devrions tendre vers une éthique de la Vie, et non du plaisir. Ainsi, dans une optique utilitariste, le bonheur de tous, ou plutôt la moindre douleur pour tous, on peut poser la question de l’utilité de la télévision, du chocolat, de la musique et de l’art en général. Ceci, toutefois, n’a aucun lien avec notre discussion sur la religion, puisque je ne souhaite pas une Terre areligieuse pour supprimer une source d’apaisement.

     

     Suite à la lecture de votre commentaire, une question me taraude : pourquoi liez-vous ataraxie et religion ?

     

     Et enfin, en guise de conclusion, voici quelques amuse-esprits de Schopenhauer :

    •  « […] les religions sont comme les vers luisants : elles ont besoin de l’obscurité pour éclairer. » (p. 91)
    •  « Semblable à un vêtement d’enfant, la religion n’est plus à la taille d’une humanité en croissance ; et rien n’y fait : il craque. » (pp. 172-173)
    •  « Cependant, pour en revenir à l’essentiel tu as raison d’insister sur le fort besoin métaphysique de l’homme. Mais les religions, me semble-t-il, ne signifient pas tant l’apaisement que l’abus de ce besoin. » (p. 114)
    • « Destra de la cruz esta el diablo. » [Derrière la croix se trouve le diable. Proverbe espagnol.] p. 176

     

    Sénepse

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